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Le 28/04/2023

SAFe 6.0, on n'arrête pas un train en marche !

Le train quitte la gare (SAFe 1.0 - 2011) – Concept clé

Au départ, SAFe se veut comme un framework (c'est-à-dire un cadre général de fonctionnement) qui aide les entreprises à adopter une approche agile à grande échelle. Notamment, en permettant à de nombreuses équipes Scrum de collaborer et de se synchroniser pour travailler sur un même produit. Plus il y a d'équipes qui travaillent sur un même produit, plus il y a d’adhérence et des problèmes de synchronisation et d’alignement entre ces équipes. 

Cela aboutit souvent à une dette technique en croissance exponentielle, un produit “patchwork” avec des pratiques et objectifs divergents entre les équipes, etc.

Le premier concept clé introduit est le train d'itération. Il permet à plusieurs équipes de prendre de la hauteur sur la réalisation du quotidien, afin de privilégier les convergences vers un objectif commun, à plusieurs sprints de délais. L'idée sous-jacente est que lorsqu'il y a trop d'équipes, la synchronisation à chaque sprint devient trop complexe et trop chronophage par rapport au temps passé à produire. 

Pour répondre à ces fameux problèmes de gestion des adhérences entre les équipes, SAFe introduit donc une timebox au-dessus du sprint (le PI qui dure 10 semaines) qui permet aux équipes de se synchroniser et de collaborer sur une période plus longue. Cette synchronisation se fait à travers une première ébauche de planification faite par les équipes "Plus grand" que l'objectif de sprint. Le train SAFe est né.

SNCF Contrôleur dans un train © DR

Le contrôleur passe dans les wagons (SAFe 2.0 - 2012) – Introduction du PI planning

La synchronisation de plusieurs équipes sur des périodes de plusieurs mois, même rythmées par des sprints de quelques semaines, n'est pas simple et inexorablement coûteuse.

Or, les décideurs veulent des solutions opérationnelles à leurs problèmes de façon à uniformiser les pratiques (donc ici simplifier et rationaliser le déploiement du framework). SAFe va donc apporter des précisions sur la manière de mener cet exercice et introduire le PI Planning.

Le PI (Program Increment qui est un ensemble de 5 sprints) va être planifié par l’ensemble des équipes durant 2 jours en se basant sur une vision (des objectifs à atteindre pour le prochain PI).

En sortie d’exercice, l’objectif est de produire un support de planification matérialisé par le “Program board” (l’ensemble de ce que souhaitent réaliser toutes les équipes impliquées réparti sur les sprints du prochain PI avec les dépendances entre elles identifiées) partagé et affiché aux yeux de tous. 

En fournissant un modèle de fonctionnement, SAFe rassure les décideurs et permet aux équipes de s'appuyer sur un modèle commun plutôt que d'avoir des pratiques de planification divergentes sur un même produit.

Pour permettre la mise en place de ces changements et porter la bonne parole, SAFe introduit également le principe des “leaders lean-agiles”. Ces relais (formés et certifiés) vont permettre la bonne mise en place des trains SAFe, en portant les valeurs et les pratiques qui définissent le framework.

Besoin d'aiguillage pour éviter les collisions en gare (SAFe 3.0 - 2014) – Plus de leader, plus de hauteur

La version 2 commence à se répandre et les entreprises qui l'ont adoptée rencontrent maintenant un nouveau problème : comment maximiser le profit entre les différents Tains SAFe ?

Dean Leffingwell l'a bien compris avec le succès de la version précédente : ce qui fait son succès, ce sont les solutions sur étagères. SAFe apporte une solution “prête à l’emploi” à chaque problème.

Ce qui tend à faire du SAFe de SAFe ou de la planification de la planification avec l’introduction de l'étage Portfolio, qui permet de piloter les TRAIN SAFe (Agile Release Train - reformalisé pour l'occasion) en fonction des flux de valeur.

Pour faciliter l'implémentation du framework, SAFe étend ses lean-agiles leaders à tous les niveaux. Plus il y aura de leaders SAFe à tous les niveaux de granularité du produit et dans toutes les strates de l'entreprise, plus le déploiement sera aisé.

Cartographie simplifiée du réseau ferré (SAFe 4.0 - 2016 et 4.5 - 2017) – Simplification de la big picture

Répondre à tout c'est bien, mais encore faut-il qu'on puisse s'y repérer. C'est la problématique que va principalement adresser cette nouvelle mouture.

Réorganiser l'ART dans un étage programme à part entière. Prendre le PIP en tant qu'articulation centrale du modèle pour simplifier la compréhension. Découper les niveaux de granularité des besoins de l'initiative à la User story, en passant par les epics : chaque personne à son propre niveau de granularité avec ses règles de priorisation. 

Bref, beaucoup de changements de vocabulaire et d’organisation du schéma global pour simplifier la vue d’ensemble. Pour les rôles, un triptyque est reproduit à chaque étage pour simplifier la lecture : Les PO / SM / Développeurs deviennent PM / RTE / System Architect ou Enginer au niveau programme et ainsi de suite pour les solutions.

Enfin, comme n'importe quelle équipe agile, un train se retrouve bloqué si les pratiques de mutualisation, d'intégration et de déploiement des versions ne sont pas fluides. Par conséquent, SAFe va s'appuyer sur une approche qui prend de plus en plus d'ampleur : le DevOps. 

On voit donc de façon explicite les principes de continuous delivery, continuous integration et release on demand apparaîtrent avec l'ensemble du DeVOps mis en avant.

Le dialogue avec les partenaires sociaux (SAFe 5.0 - 2017) – L’évolution aux nouveau métiers

Avec tous ces changements et l'agilité déployée à tous les niveaux de l'entreprise, les métiers historiques ne trouvaient plus vraiment leur place. Tout comme les métiers émergents et en forte croissance (par exemple l'UX et le Design thinking). 

Si SAFe ne veut pas perdre sa place, il doit réagir : permettre aux DSI et autres décideurs de donner une place à chaque corps de métier dans le framework.

De nouveaux rôles vont donc faire l'apparition comme l'agile RH. De nouvelles pratiques vont donc apparaître comme l'intégration du double diamant et du design thinking, pour mieux prendre en compte les besoins des utilisateurs dans les solutions conçues.

Et maintenant ? (SAFe 6 - 2023) – Le stream Business Agility Value 

Il aura fallu attendre pour avoir cette nouvelle version, alors quelles sont les nouveautés ? On continue dans la même lancée :

- apporter toujours plus de réponses et solutions “clé-en-main” à tous les problèmes que l'on peut rencontrer 

- intégrer toutes les tendances du moment pour ne pas être “démodé” (quel dirigeant pourrait dire qu'il est à la pointe de l'innovation s'il ne place pas le mot OKR dans la conversation ?)

En premier lieu, remonter tout en haut de l'entreprise : on retrouvera donc au sommet de la big picture la notion de business Agility. 

SAFe remet en avant l'importance pour une entreprise d'évoluer rapidement au risque de voir tout s'écrouler au profit d'entreprises plus petites et donc plus agiles. Ironie, SAFe cite les travaux de John Kotter, qui a émis des théories de conduite du changement avec un processus en 8 étapes dont la première est "créer le sentiment d'urgence". 

C'est exactement ce que fait SAFe ici : "si votre entreprise n'est pas entièrement agile, vous allez mourir parce que le marché actuel ne vous attendra pas", mais comme à son habitude, SAFe est là pour vous sauver : "rassurez vous, j'ai la solution pour que vous puissiez, grandes entreprises, être agile sur toute la chaîne !".

Il définit dans sa version 6 la business agility value stream qui permet de faire des MVP en un temps record de 2 à 6 mois pour accélérer le recueil de feedback. Cela passe également par des rôles et une équipe de direction Agile (porter les principes d’une équipe agile à la direction d’une entreprise) ainsi que des flux.  Le flux ou “flow” est un axe central de la V 6.0, déjà présent dans les anciennes versions mais davantage mis en avant maintenant. Il  permet de faire du lien sur toute la chaîne : d’une volonté stratégique de l’entreprise à la plus petite tâche que l’on retrouve dans une équipe.

Entre les 2, chacun son “flow” et donc son process pour gérer correctement ses décisions à son propre niveau de la pyramide. En s’appuyant sur les OKR qui permettent de : 

- contrôler l’alignement de bout en bout entre la stratégie et l'exécution

- valider la rentabilité des actions menées

- challenger le fonctionnement et l’organisation globale

 

La seconde approche de cette V6.0 “reste à la page” en intégrant dans sa big picture les tendances du moment. Le lean UX vient donc rejoindre le design thinking pour penser les solutions au niveau de l'ART. Comme pour le design thinking dans sa version 5.0, SAFe nous reformalise les principes fondamentaux du lean UX sans vraiment approfondir la manière de l’intégrer dans le travail des équipes. Néanmoins, les notions de MMF (Minimum Marketable Feature) apparaissent et permettront peut-être d'éviter certains écueils.

Pour les mêmes raisons, le DevOps apparaît dans cette version comme dépassé. La tendance, c'est le DevSecOps ! Celui-ci vient ajouter la prise en compte des contraintes de sécurité dans l'ensemble des pratiques de DevOps. On retrouve ici l’intégration des grandes tendances de la tech : IA, Big Data et cloud. Grossièrement, SAFe 6.0 mentionne que ces approches peuvent être utilisées à plusieurs niveaux de l’organisation. Par exemple, la big data peut être utilisée pour piloter les portefeuilles. Toutefois, il faut que le sujet soit pris en compte et priorisé à tous les niveaux de l'organisation : l’IA peut aider les équipes à trouver de meilleures solutions, le cloud est un outil qui facilite l’innovation…

Tous ces éléments sont donc ajoutés à la big picture sans pour autant préciser concrètement la manière de les intégrer (peut-être avec la version 7.0 si on suit le même schéma que les versions précédentes).

Comme à chaque nouvelle version, SAFe re-travaille son image globale pour que toute cette complexité paraisse intelligible pour un cerveau humain (le travail de design de la big picture de SAFe est nécessaire à chaque fois pour ajouter de nouveaux concepts à une image déjà riche).

Terminus, tout le monde descend - Qu’est-ce qu’on peut conclure ?

Si on devait résumer ce que nous apporte cette nouvelle version de SAFe 6.0, on pourrait dire que c'est la même chose que les évolutions précédentes.

On y a intégré les nouveautés du marché qu'on vient ajouter et superposer aux versions précédentes. 

L'idée n'est pas de dire si c'est mieux ou pas que la version précédente, si c'est agile ou pas (oui, on les connaît les débats entre coachs agile...). SAFe avec sa version 6.0 reste sur ses rails. Toujours plus de solutions à chaque problème rencontré. Toujours plus de rôles et de métiers pour que tout le monde trouve sa place.

Pour ceux qui décident si oui ou non il faut déployer l'agilité à l'échelle, c'est rassurant d'avoir tout ça sous la main. SAFe a donc encore de beaux jours devant lui. Toujours plus RTE, de lean agiles leaders, de STE ou d’ Epics Owners pulluleront dans le paysage des grandes entreprises françaises.

 

Léonard, Coach Agile

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