Une DSI, c’est un peu comme un vieil enfant. Un enfant d’abord, qui, sans vouloir trop l’admettre, n’attend en réalité que d’être cadré. Il a besoin de savoir exactement ce qui est interdit et jusqu’où il peut aller.
Vieux ensuite, dans sa volonté profonde que rien ne change. Il n’est pas contre le changement bien sûr, mais en conservant toutes ses habitudes. Et puis bon, c’était mieux avant, non ?
Ce constat est peut-être le postulat de base des créateurs de SAFe, tant la méthodologie est « packagée » pour y répondre. « SAFe », c’est la promesse du changement et de l’innovation en toute sécurité.
SAFe sait faire du Marketing
SAFe, cela veut dire « Scaled Agile Framework », c’est à dire l’agilité à l’échelle (plus de 100 personnes), avec un « e » ajouté à la fin. Ce « e » justement, est représentatif de l’esprit de la méthode : il assume, sans finesse, vouloir « rassurer » les entreprises qui le mettent en en place.
Cette volonté de rassurer est sûrement sa plus grande force. Pour le faire, SAFe combine plusieurs techniques :
- La méthode est ultra-détaillée, contrairement au scrum guide qui tient en 18 petites pages.
Elle vous donne par exemple des consignes opérationnelles sur la tenue de chaque rituel.
On ne vous dit pas encore ce que vous devez manger, mais combien de temps vous avez pour le faire et de quoi vous devez discuter à table. - Le périmètre et la précision augmentent avec le temps. Il manque quelque chose ?
Pas de panique, cela sera expliqué dans la prochaine version !
Nous, on attend avec impatience plus de détail sur l’intégration du Design Thinking dans SAFe. - Les délais sont faits pour être respectés : la méthode prévoit une semaine sur 10 pour que les équipes rattrapent leur retard.
Sacrilège agile, l’équipe ne s’engage pas pendant un sprint ! - Le management garde un œil, voire deux, sur les priorisations, en ayant la possibilité d’ajuster les engagements des équipes.
Et tant pis si on les déresponsabilise un peu.

Tchou tchou, attention au départ
Si SAFe est encore peu connu, contrairement à scrum ou à l’agilité déjà bien ancrés dans le langage courant, sa naissante notoriété est toujours associée au train et ses wagons.
C’est en effet sur une métaphore ferroviaire que la méthodologie s’appuie. Encore une fois, c’est une bonne idée marketing, mais c’est aussi une bonne idée tout court.
Le postulat de départ, c’est d’observer que l’agilité, c’est à dire de travailler par petites itérations, est une excellente pratique, mais qu’elle ne donne le bon niveau de visibilité au management.
Prioriser toutes les deux semaines ce qui donne le plus de valeur à un produit, c’est super, mais afficher une roadmap, c’est important aussi dans une grande entreprise.
Justement, SAFe conserve les développements en sprints, mais les regroupe par 5 dans un PI (Program Increment).
Ce PI de 10 semaines, sorte de méga-sprint, permet au management d’avoir une visibilité sur le planning, dont la granularité est plus adaptée à son besoin.
Toutes les 10 semaines, un train part avec un certain nombre de wagons.
Chaque train est une version du produit, quand les wagons sont des fonctionnalités développées, testées et jugées stables.
Mind the gap
SAFe est pourtant souvent critiqué parce qu’il défait certaines valeurs de l’agilité : les équipes sont moins responsabilisées, les Product Owners ne peuvent plus vraiment prioriser en dehors du PI, etc. Mais objectivement, dans les grands groupes, c’est déjà le cas, même sans SAFe.
Un PO doit généralement suivre une roadmap assez stricte sur laquelle il a peu la main.
Théoriquement, SAFe a la capacité d’apporter une bonne touche d’agilité dans une entreprise rigide sans tout bouleverser pour autant.
Dans la pratique, la mise en application est pourtant généralement douloureuse. La méthode a beau être pensée pour les DSI de grandes entreprises, cela reste un changement majeur de l’organisation, qui entraîne inévitablement des difficultés.
Passer à SAFe n’est pas à prendre à la légère.
Ce n’est pas non plus l’unique méthode pour réaliser de l’agilité à l’échelle (Nexus Scrum, Less ou le modèle Spotify ont aussi le vent en poupe).
Et si SAFe a de beaux arguments marketing, chaque entreprise est différente, ce qui veut dire que la solution n’est pas toujours la même.
C’est une piste envisageable, mais il convient évidement de vérifier au préalable si elle est adaptée au contexte.
Réfléchir avant d’agir, c’est souvent une bonne idée. C’est même sûrement la seule façon d’être réellement « rassuré » avant de se lancer dans une transformation d’envergure.
Bertrand